Déjà 3 mois, 3 mois qu'il errait sans but, perdu, aux abois. Sa bouche sentait encore le
goût du sang. Il était las des combats, las du fracas des armes ; il entendait le bruit des
os brisés résonner dans sa tête, se souvenait des râles d'agonie qui entouraient chacun
de se pas il observait ses mains, toutes tachées du sang des guerriers dont les âmes
déchues le tourmentaient sans cesse.
« Oh, Keres, viles déesses, où êtes-vous ? Libérez-moi, emmenez-les. Délivrez-moi,
perfides ailées ! »
Sa complainte emplissait les cieux depuis des lunes, en vain. Il errait, seul, loin. Il avait
oublié ce qu'il avait appris, déserté ce qu'il avait construit, fui ce qu'il lui restait d'amis.
Magie, famille, patrie : brisé par l'ennui il avait tout quitté. Il courrait, droit devant lui,
pressé par la folie.
Et aujourd'hui, fatigué jusque dans son silence, les images du passé embuant son
errance, il la sentit s'approcher. Cela devait cesser, il fallait s'arrêter, le temps était venu.
Parcourant du regard l'étoffe qui l'enveloppait, il s'en défit et s'allongea à même le sol,
nu. Puis, rassemblant ses dernière forces, il murmura à la terre une ultime parole.
Enfin, tout était dit, la nature à présent pouvait jouer son rôle. Sa confidence achevée, il
ferma les yeux et se fondit sans bruit dans l'éternité.